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L’environnement, enjeu économique

 

Par Fluke Kelso

 

Président de la République

 

 

Introduction.

 

Pour que la science économique soit en mesure d’intégrer l’environnement comme enjeu, il faut qu’elle puisse en évaluer la valeur. Or seuls les biens ont une valeur économique. Il convient donc de déterminer en quoi il existe des biens d’environnement, c’est-à-dire de déterminer en quoi ces biens ont une spécificité qui permet de les distinguer d’autres biens. Il faut de fait déterminer la valeur de la nature, ce qui ne va pas sans complications, dues à la difficulté de disposer d’un système de comptes fiable et d’une définition claire de ce qui fait que l’environnement a bel et bien une valeur d’un point de vue économique.

 

A partir du moment où l’environnement a une valeur, lui nuire a un coût plus élevé. Et à partir du moment où ce coût est plus élevé, il devient impératif, premièrement, de ne nuire à cet environnement que d’une façon qui corresponde aux besoins les moins élevés possibles, afin de réduire ce coût, et deuxièmement, de ne lui nuire que d’une façon qui soit inscrite dans une perspective de long terme, afin d’éviter le coût élevé d’une exploitation intensive à court terme : c’est ce qu’on appelle le développement durable.

 

I. La nature a une valeur économique.

 

Les biens d’environnement n’existent que s’ils ont des caractéristiques les distinguant des autres biens. La mesure de leur valeur, après leur définition, dépend à la fois des services qu’ils rendent, justifiant leur préservation, et des dommages qu’ils subissent, susceptibles de faire disparaître ces services. Les biens d’environnement ont cinq traits distinctifs :

 

1. Ce sont des biens d’offre fixe qui font l’objet d’une demande croissante.

 

2. Ce sont des biens qui peuvent être dégradés ou détruits.

 

3. Ce sont, à quelques exceptions près, des biens communs.

 

4. Ce sont des biens sans prix dont la transformation a un coût.

 

5. Ce sont des biens produits et reproduits hors intervention humaine.

 

La définition de la valeur des biens ainsi décrits est rattachée à la notion de coûts sociaux qu’implique leur dégradation ou leur disparition. Le problème est alors que repérage et appréciation de ces coûts sont malaisés. Leur repérage implique de savoir qui est concerné par ces coûts, et sur quel intervalle de temps. Leur appréciation implique le flou total dans le cas d’exemples tels que le rejet de matières toxiques en haute mer, peu appréciable par les populations, ou de la destruction du patrimoine génétique, qui n’entraîne pas directement de coûts sociaux.

 

Reste alors la possibilité de déterminer cinq sortes de valeur :

 

1. la valeur indirecte, liée à l’appréciation d’un site préservé et au tourisme ;

 

2. la valeur optionnelle, liée à l’incertitude quant au besoin futur de telle ou telle ressource et impliquant de fait sa protection ;

 

3. la valeur d’existence, liée à la satisfaction liée au maintien d’un bien d’environnement par des agents économiques n’ayant pas d’intérêt propre à ce maintien ;

 

4. la valeur d’héritage, liée à la satisfaction de préserver pour la postérité un bien d’environnement ;

 

5. la valeur écologique, sorte de valeur d’existence appliquée aux espèces autres que l’espèce humaine.

 

II. Le problème de l’évaluation.

 

Certains arguments éthiques partent du postulat qu’une évaluation marchande ne saurait s’appliquer à un bien d’environnement. Se pose en réalité le problème du choix, pour déterminer la valeur des biens d’environnement, entre l’évaluation des services rendus par l’environnement préservé, d’une part, et l’évaluation de la valeur qu’a en soi le simple fait de ne pas utiliser telle ou telle ressource naturelle.

 

Dans le cas de l’évaluation des services rendus, se pose un nouveau choix entre prise en compte des comportements et prise en compte des consentements à recevoir ou à payer. Les ramifications ne s’arrêtent pas là : la prise en compte des comportements consiste principalement à mesurer les différences de prix liées à telle ou telle variable environnementale (technique hédoniste), ou à mesurer la dégradation d’un bien économique liée à celle d’un bien environnemental (technique physique dose-réponse) ; la prise en compte des consentements à recevoir ou à payer consiste à comparer ce que l’agent économique est prêt à verser pour préserver un bien d’environnement, et ce qu’il est prêt à recevoir pour accepter qu’il soit porté atteinte à ce bien.

 

Dans le cas de l’évaluation de la valeur qu’a en soi le simple fait de ne pas utiliser telle ou telle ressource naturelle, la méthode est la suivante : une étude d’évaluation contingente, avec description du bien d’environnement à préserver et du moyen de paiement par les populations de cette préservation, est soumise aux populations concernées. Dès lors tombent une série de contraintes : primo, le "dilemme du passager clandestin", à savoir des individus refusant de payer la préservation en comptant sur la bonne volonté du reste de la population ; secundo, le problème de l’information, le questionnaire de l’évaluation pouvant biaiser la prise de décision ; tertio, l’inclinaison naturelle des individus à préférer recevoir plutôt que payer, et donc à préférer recevoir pour laisser l’environnement être endommagé que payer pour le préserver.

 

En lieu et place de l’évaluation monétaire existe enfin la méthode de la comptabilité du patrimoine, utilisée pour décrire ce patrimoine en termes d’état des ressources naturelles (stock) et d’évolution de cet état (flux) autour de trois ensembles : primo, les comptes d’éléments, regroupant les composantes simples du patrimoine naturel en termes physiques de disponibilité, d’abondance et d’utilisation, avec passage d’un stock initial à un stock final ; secundo, les comptes d’agents, regroupant les opérations d’agents ayant eu un impact sur le patrimoine naturel ; tertio, les comptes d’écozones, regroupant les modifications des systèmes naturels et les modifications d’occupation des espaces.

 

 

III. Le développement durable.

 

Le développement durable est "un développement qui répond aux besoins du présent, sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. " C’est, en somme, la transcription du proverbe selon lequel "notre terre ne nous appartient pas, ce sont nos enfants qui nous la prêtent. "

 

Jusqu’à la propagation de cette idée de développement durable, la notion de développement était le synonyme de la notion de croissance. Les indices économiques utilisés pour rendre compte du développement de tel ou tel pays sont en cela révélateur, puisqu’ils se focalisent sur le revenu par habitant et le taux de croissance globale sans prendre en compte les nuisances sur l’environnement, et donc les atteintes au stock de ressources disponible à long terme.

 

Le développement est alors lié à la production, au revenu, à l’épargne, à l’environnement

économique comme le degré d’industrialisation ou les inégalités de revenus, et à certaines données de la vie sociale comme l’éducation, la santé ou la nourriture disponible par habitant. Le développement durable y intègre un aspect qualitatif, la prise en compte des ressources naturelles et humaines dans la détermination de l’état général d’avancement sur la voie du développement.

 

Les cinq objectifs de ce développement durable sont :

 

1. réorienter les techniques et gérer les risques afin de mettre en lumière les nuisances et inefficacités ;

 

2. préserver et mettre en valeur les ressources naturelles ;

 

3. maîtriser la démographie pour éviter une surexploitation des ressources ;

 

4. satisfaire les besoins essentiels en matière d’emploi, d’alimentation, d’énergie, d’eau et de salubrité ;

 

5. favoriser la croissance et en modifier la qualité afin de la concilier avec la protection de l’environnement.

 

 

Conclusion.

 

Le développement durable s’inscrit dans une optique économique normative : indiquer non pas ce qui est, mais ce qui doit être. Il est aussi macroéconomique, puisque le point de vue microéconomique amène chacun à exploiter au maximum les ressources, naturelles ou pas, dont il dispose, alors que c’est d’un point de vue d’ensemble, donc macroéconomique, que la protection de ces biens est justifiable.

 

Selon les principes du développement durable, si l’on ne sait pas quelles sont les conséquences sur l’environnement d’une décision économique, alors il ne faut pas la prendre, et il convient d’attendre que l’incertitude quant à ces conséquences soit levée. Par ailleurs, bien qu’il soit impossible de déterminer ce que seront les valeurs et priorités des générations à venir, il faut néanmoins effectuer des choix qui engagent cet avenir. Tels sont les deux aspects du principe de précaution, lié au développement durable, et appliqué dans le cas de l’agriculture génétiquement modifiée.

 

Autre moyen d’action, la "rationalité procédurale " s’oppose à la "rationalité substantielle ", qui est de rigueur dans l’analyse économique n’intégrant pas les questions environnementales. La rationalité substantielle consiste à faire des choix en fonction de l’optimum de jouissance économique, sans autre facteur de décision. Elle fait confiance au marché pour garantir le meilleur usage possible des ressources. La rationalité procédurale, elle, consiste à mettre en place des procédures et des règles fixant une conduite collective quant aux biens d’environnement. En situation d’incertitude, elle autorise le développement durable à empêcher des décisions économiques irréversibles aux conséquences environnementales inconnues.

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